2017
Le travail pictural d’Emmanuelle Villard se caractérise depuis de longues années par des combinaisons aux allures de mascarades, comme elle aimait à le préciser elle-même, des œuvres plutôt outrancières, serties de strass et de paillettes, composées d’encollages de billes et de colliers de perles, tableaux où s’encastrent le toc des pierres précieuses, les dégoulinures scintillantes d’intarissables réseaux de peintures acryliques. Toute en duplicité, cette entreprise ne cesse d’afficher une limite volontaire entre la livraison d’apparats et d’atours aguichants et leur usage dévolu à un factice et triomphal tour de scène.
A mieux y regarder on se dit cependant qu’il y a trop d’indices que l’on prête aux maquillages arborés lorsque s’affiche le désir d’aller danser, trop de rimmel en quelque sorte, le tout trop étalé, malaxé, pour que l’affaire se résume à exhiber une des images les plus convenues et les plus triviales de la féminité. Ou, dit d’une autre manière, l’excès supposé vient recadrer le parti-pris de sa singularité par un contre-pied matériel riche d’interrogations contextuelles, qui ne laissent de côté ni la réalité d’être une artiste femme, ni d’avoir à se démener dans une société devenue hyper-spectaculaire, ni d’entreprendre un engagement artistique qui affirme une lecture critique face à une telle surenchère de données et de possibilités existentielles.
Essentiellement constituée de tableaux, mais sans négliger toutefois la réalisation de sculptures bâties principalement par des assemblages de sphères et de sautoirs encollés, les œuvres d’Emmanuelle Villard débordent au sens littéral. En quelque sorte instables, elle offre au regard des surfaces plus ou moins tourmentées, où la peinture excède volontiers du cadre, où les paillettes dispersées faussent et éblouissent la perception, où les ruissellements de rivières miroitantes offre un sentiment de mouvement et de rythme. Bien qu’a priori semblables selon les séries produites, elles sont cependant distinctes, différentes, et constituent en quelque sorte un appareillage aussi indissociable que singularisé. C’est tout logiquement alors que l’artiste veille à les disposer en suivant une ordonnance qui peut s’apparenter à une scénographie, en un parcours de méandres calculés, qui leur confère en quelque sorte un statut tout à la fois d’artifices et d’acteurs. L’attention apportée par l’artiste lors de ses expositions successives, dans des lieux autres que la galerie commerciale où elle ne disposait pas des mêmes libéralités spatiales, n’a fait que renforcer cette volonté, en obligeant les visiteurs à suivre des parcours sinueux, à observer ces propositions depuis des points de vue calculés, à leur faire endosser en quelque sorte un rôle de participant à l’événement proposé. Et partant à les rendre complices d’un cérémonial festif que les œuvres déployaient par elles-mêmes : un glissement, un pas de côté, une insertion minime mais indispensable pour que l’iconographie explicite se renforce dans ce pas de deux.
Sans surprise, Emmanuelle Villard a rapidement décidé de s’attaquer à une vraie scène, en produisant une performance où quatre actrices se voyaient chargées à la fois de confectionner des parures proches des matrices indiquées par le travail purement plastique, et de leur prêter des mouvements déambulatoires que ces excès de colifichets pouvaient autoriser. La cruauté du théâtre du paraître affiché sans concessions dans l’œuvre picturale devenait ici réalité : la scène est un lieu d’artifice autant qu’un lieu de souffrances, sans rémissions, nous rappelant, comme le dit le dicton, qu’« il faut souffrir pour être belle » !!
Soit un déploiement aussi enivrant que cruel, qui ne dure a priori qu’un tour et qu’il faut remiser ensuite pour lui rendre tout son lustre et son paraître. Ou plutôt qu’il faut refiler, nanti d’une aiguille et de fils pour réparer les résilles abimées et renfiler les oripeaux déchirés.
C’est ce à quoi s’adonne Emmanuelle Villard aujourd’hui, après avoir dû suspendre sa production pendant un trop long temps. Il n’y a jamais d’excuses valables dit-on, mais les aléas qui ont obligés l’artiste à devoir quitter un atelier digne de ce nom, à se consacrer à des obligations familiales et à supporter de plus des problèmes physiques, viennent expliquer pourquoi elle a opté pour d’autres supports, d’autres formats, d’autres techniques, mais en rien d’autres visées et propos.
Ce qu’elle réalise est dans la ligne logique de ce à quoi elle s’est toujours consacrée : le rendu des limites, du paraître, de l’emphase, pour en montrer la fatuité, le grotesque, le convenu.
Sans concessions, sans détours ni artifices. Ce rideau qui semble être tombé, elle le consigne métaphoriquement dans une succession de tableaux où ondulations et souplesses deviennent apparats et mantilles. Ces échancrures se singularisent et étreignent l’espace autorisé de la toile où elles se déploient, avec toujours suggérée cette envie de déborder, de s’échapper. Un tomber de voile renvoie toujours à une double préciosité : ce qui se montre et ce qui se cache, alors qu’un bas résille repose sur une autre équivoque : on dévoile à moitié ce qui en général se cache.
Car une fois une certaine fête finie il est logique d’en recenser ce qui peut être récupéré, à la fois comme témoins émouvants de ce qu’elle a générée, ou dans un souci d’économie pour restaurer ce qui pourrait encore servir.
Le travail actuel d’Emmanuelle Villard oscille entre mémoire et projection ; convoquer un aplat qui ne recouvre pas toute la toile ou un réseau grillagé qui nécessite des réparations, c’est déclarer l’empathie que l’on exprime pour l’artifice de la peinture et ses pouvoirs de suggestions, comme c’est avouer la volonté de poursuivre l’enivrement d’une scène qui ne sera jamais vide, car, dans sa diversité singulière, elle sera forcément partagée.